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L'espace d'Atoum

« J'étais solitaire dans le Nouou et inerte. Je ne trouvais pas d'endroit où je puisse me tenir debout, je ne trouvais pas de lieu où je puisse m'asseoir. La ville d'Héliopolis où je devais résider n'était pas encore fondée, le trône sur lequel je devais m'asseoir n'était pas encore formé...."

Le devoir d'information prime-t'il sur l'incrimination ?

Cass crim 25 oct 2016 n° 15-83774

Une association politique Y porte plainte avec constitution de partie civile pour escroquerie à l'encontre de Mme X.

Journaliste indépendante, cette dernière s'est infiltrée pendant 8 mois au sein de l'organisation dans le but de recueillir des informations. Il s'agissait de mener une enquête. Le titre du manuscrit remis à l'éditeur "Bienvenue au .Y.. , journal d'une infiltrée".

Afin d'obtenir des documents internes et des informations, Mme X fait usage d'un faux nom et d'une fausse qualité dont elle se servira pour l'adhésion, complétée par la création de faux profils au sein de réseaux sociaux.

Par réquisitoire, le procureur saisit le juge d'instruction. Une ordonnance de non lieu est rendue pour absence de caractérisation par l'information des éléments constitutifs de l'infraction visée à savoir l'escroquerie.

Pour le juge l'un des éléments constitutifs est caractérisé par l'usage du faux nom et de la fausse qualité. Par contre, la remise, l'élément intentionnel et le préjudice  paraissent faire défaut.

L'association interjette appel. Appel qui se soldera par une confirmation de la chambre d'instruction. Un pourvoi est formé.

Durant le débat, il est souligné d'une part que la remise du fichier des adhérents n'a fait l'objet d'aucune exploitation commerciale puisqu'il n'a pas été incorporé au livre litigieux. En conséquence, le résultat de la tromperie consiste en la simple remise de "matériaux" sous une forme intellectuelle composé de propos et de confidences.

La question : la remise peut-elle portée sur un bien dématérialisé ?

Ensuite, s'agissant que d'un fichier d'adhérent, dépourvu de toute valeur vénale, "dès lors, la remise du fichier à Mme X... ne peut entrer dans le champ d’application de l’escroquerie, en ce qu’elle n’a provoqué ni préjudice patrimonial ni préjudice moral au Y".

La question : La nécessité d'une atteinte patrimoniale ? La nécessité d'un préjudice ?

Enfin, il ne ressort ni de la plainte ni de l'enquête que Mme X ait réclamé le fichier litigieux "le fichier lui a au contraire été transmis par Y sans qu’elle ne lui réclame". L'élément intentionnel est absent. 

La question : La remise est-elle librement consentie ? La chose remise doit-elle avoir faire l'objet d'une exploitation en faveur de l'auteur présumé de l'infraction ?

Afin de confirmer le rejet de l'incrimination à l'encontre de la journaliste, la chambre criminelle souligne que l'accepter constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression.

I- Le rejet de l'incrimination vis-à-vis d'un journaliste 

L'ordonnance fonde le non-lieu par l'absence de caractérisation de l'ensemble des éléments constitutifs de l'infraction d'escroquerie. La partie civile souligne le caractère instantanée de l'infraction tout en démontrant que l'intention frauduleuse s'apprécie indépendamment des mobiles de l'auteur.

A- Une infraction instantanée

1- La mise en oeuvre de manoeuvres frauduleuses en vue de tromper la victime

Art 313-1 cp "L'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale..".

La tromperie doit être antérieure ou simultanée à la remise de l'objet. En l'espèce, Mme X, journaliste, a utilisé le nom et le prénom de sa grand-mère tout en "faisant état de fausses qualités sur le plan professionnel et familial" afin de s'immerger dans le monde associatif visé pendant 8 mois en tant qu'adhérent. De plus, cette démarche s'est accompagnée de la création de faux profils sur des réseaux sociaux.

L'association aurait-elle accepté la prévenue en tant qu'adhérente si elle avait eu connaissance de sa vraie qualité ?

2- Le résultat de la tromperie : une remise non exploitée

"de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge".

Le délit d'escroquerie se trouve consommé par l'acceptation de la victime de remettre la chose convoitée avec son consentement vicié. 

Pour le juge d'instruction "la remise d’un bien quelconque ne lui paraît pas effective". Ce que confirme la chambre de l'instruction qui a relevé que "dans le livre publié à l’issue de l’enquête effectuée par l’intéressée, certains documents internes n’avaient pas été utilisés, tels les fichiers des adhérents". De plus, rien n'indique que la journaliste ait demandé le fichier.

Pour l'association "l’escroquerie est une infraction instantanée qui se réalise au moment de la remise de la chose convoitée, peu important l’usage qui en est fait et les circonstances postérieures à cette remise".

B- Une infraction non intentionnelle

1-  S'appréciant de l'intention frauduleuse

En vertu de l'art 121-3 cp "Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre".

Tout en soulignant quel'escroquerie "s'apprécie au regard non pas du mobile, indifférent, mais de l'intention frauduleuse de l'escroc par le but poursuivi",  le juge d'instruction s'appuie sur la doctrine pour écarter la mauvaise foi de l'agent. Celle-ci aurait développé la notion de débat d'intérêt général, à distinguer, de la notion de légitimité du but poursuivi, une des conditions de l'exception de bonne foi en matière de diffamation. La journaliste en allant au coeur même de l'association aurait écrit un livre de conviction sans pour autant vouloir nuire à l'organisation.

Pour la plaignante "alors que l’intention frauduleuse en matière d’escroquerie s’apprécie indépendamment des mobiles de l’auteur et résulte suffisamment de la volonté de l’intéressé, grâce à une tromperie, d’obtenir la chose convoitée".

La chambre criminelle confirme que "Mme X..., dont il n’apparaît pas qu’elle ait cherché à nuire au Front national, a eu pour seul objectif d’informer et avertir ses futurs lecteurs en rapportant des propos tenus au cours de débats ou d’échanges informels, dans le but de mieux faire connaître l’idéologie de ce parti"

2- Et non du but poursuivi

La chambre criminelle confirme "que si c’est à tort que la chambre de l’instruction retient que l’élément moral de l’escroquerie s’apprécie au regard du but poursuivi par l’auteur présumé des faits" pour autant l'arrêt n'encourt pas la censure.

II- La primauté de la liberté d'expression du journaliste

Cette décision témoigne de la difficulté de la victime de se voir reconnaître une atteinte face à un régime exorbitant au droit commun appliqué à la liberté d'expression.

A- Un régime exorbitant au droit commun

1- Une présomption de bonne foi dans un but d'informer

Selon le juge d'instruction "il apparaît que la journaliste par sa liberté d’opinion et d’expression a agi avec son appréciation personnelle de la gravité de ces faits, et du devoir d’informer en découlant".

Il s'agit d'assurer la libre circulation des informations que les citoyens ont à connaître pour se faire sa propre opinion (CEDH Sunday Times c RU 26 avril 1979 req. n° 6538/74). 

Comme l'estime la chambre criminelle de la Cour de cassation "il se déduit de ses énonciations que les agissements dénoncés se sont inscrits dans le cadre d’une enquête sérieuse, destinée à nourrir un débat d’intérêt général sur le fonctionnement d’un mouvement politique".

"Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient qu'en adressant une lettre à son employeur dans laquelle elle indiquait qu'il se trouvait régulièrement en état d'ébriété l'après-midi, la salariée a manifesté une critique d'ordre personnel, irrespectueuse et excessive qui n'était justifié par aucun élément produit aux débats et a ainsi abusé de sa liberté d'expression ; 

Qu'en statuant ainsi alors que l'envoi d'une lettre, adressée au seul employeur, qui répondait à un avertissement que la salariée estimait injustifiée et ne comportait aucun propos diffamatoire, injurieux ou excessif, ne caractérise pas un abus de la liberté d'expression du salarié, la cour d'appel a violé" l'art 1121-1 ct (Cass soc 7 mai 2014 n° 12-29458).

2- Fondée sur l'un des piliers de la société démocratique : la liberté d'expression

Art 10 CEDH "« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière".

Que nous retrouvons au sein de la DDHC de 1789 "Article 11. - La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi".

Selon la jurisprudence européenne, le droit à la liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, l'un des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun" (CEDH, Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976 req. n°5493/72).

Pour les juges, l'investigation répondrait à un devoir d'information "destinée à nourrir un débat d’intérêt général sur le fonctionnement d’un mouvement politique" ... "de sorte que, eu égard au rôle des journalistes dans une société démocratique et compte tenu de la nature des agissements en cause , leur incrimination constituerait, en l’espèce, une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression".

B- Des atteintes à autrui difficiles à démontrer

1- La non reconnaissance du délit d'offence au président de la République

CEDH 14 mars 2013, req. n° 26118/10 "La Cour estime que la condamnation du requérant a constitué une « ingérence des autorités publiques » dans son droit à la liberté d’expression, prévue par la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, et visant le but légitime de la « protection de la réputation (…) d’autrui".
"Tout en admettant que la phrase litigieuse était littéralement offensante à l’égard du Président de la République, la Cour estime qu'il convient de l’examiner en tenant compte de l’ensemble de l’affaire
". Pour rappel la phrase : "Casse toi pauv'con"

Le recours à une sanction pénale était donc "disproportionné" pour la CEDH qui écrit : 

"Sanctionner pénalement des comportements comme celui de M. Z est susceptible d'avoir un effet dissuasif sur des interventions satiriques qui peuvent contribuer au débat sur des questions d'intérêt général".

2- Une mise en balance des droits de chacun

Dans un arrêt du 13 janvier 2015, la Cour de Strasbourg a rappelé que le droit à la liberté d'expression peut avoir des limites en cas d'atteinte à la réputation d'autrui. (CEDH Lozowska c Pologne req. n° 62716/09). Les juges estime que le sujet abordé par le journaliste, l'immixtion par la juge dans une affaire où son conjoint est poursuivi, est d'intérêt général. Motif l'information sur le fonctionnement de la justice et sur ceux qui en sont garants. Toutefois, le sujet est sensible.

La Cour considère dès lors que le journaliste aurait dû faire preuve de rigueur avant de publier l'article litigieux. Ce manquement serait contraire aux exigences de l'éthique journalistique et la bonne foi.

La condamnation prononcée à l’encontre de la journaliste par les juridictions nationales polonaises est par conséquent justifiée : Absence d'atteinte à sa liberté d’expression.

 

 

 

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